

La dernière promesse miracle dans les marchés publics
Analyse d’offres automatisée, détection d’anomalies, rédaction assistée de clauses, évaluation de la conformité… L’intelligence artificielle semble avoir trouvé sa nouvelle terre de mission : la commande publique. Certains promettent même qu’un simple clic suffira bientôt pour lancer une procédure complète de passation, analyse comprise. Un rêve ? Peut-être. Un cauchemar ? C’est selon.
Entre promesse d’optimisation et réalité du terrain, les acheteurs publics ont de quoi lever un sourcil (ou deux). Car si l’IA s’annonce comme l’alliée du quotidien, elle pourrait bien, à l’inverse, affaiblir l’expertise humaine là où elle est pourtant cruciale : l’analyse juridique et technique.
Ce que l’IA peut (vraiment) faire en 2025
Avant de fantasmer sur un ChatGPT qui préside une CAO, rappelons que l’IA, aujourd’hui, a quelques qualités… bien définies. En voici trois, utiles mais limitées.
1. Lire un DCE comme un stagiaire efficace
L’IA sait lire les documents d’un Dossier de Consultation des Entreprises (DCE), en extraire les mots-clés et les structurer dans une base de données. Pratique pour préparer un résumé ou une grille d’analyse. Mais attention : elle comprend les mots, pas toujours le sens.
2. Générer un mémoire technique à partir d’un modèle
Côté entreprises, des outils permettent de produire des mémoires techniques pré-remplis. Copie propre, tournures convenues, mots magiques. Problème ? Ces mémoires manquent cruellement de personnalisation, ce qui rend leur évaluation… soporifique.
3. Identifier des oublis et incohérences
Dates incohérentes, signatures manquantes, cases non cochées : l’IA est utile pour le contrôle de surface. Elle voit ce que l’humain oublie, mais elle ne comprend pas pourquoi l’erreur pose problème juridiquement.
Ce que l’IA ne peut (toujours) pas faire
Malgré les slogans marketing, l’IA a ses limites. Et elles sont de taille.
1. Évaluer la valeur technique d’une offre
Non, l’IA ne comprend pas si une méthodologie est pertinente pour un marché de curage de canalisation en milieu urbain. Elle note des éléments de langage, mais pas la cohérence du contenu. Ce qui fait la différence entre une bonne offre et un discours creux lui échappe encore.
2. Appréhender les subtilités d’un besoin
Chaque CCTP a ses spécificités. Chaque opération, ses contraintes. Une IA peut repérer un mot, mais pas en saisir l’implication dans le contexte d’un projet ou d’un site en fonctionnement. Résultat : elle généralise, là où vous, juriste ou acheteur, contextualisez.
3. Gérer le rapport qualité/prix avec discernement
L’IA peut trier des chiffres, calculer des écarts, pondérer des critères. Mais juger si un prix est justifié au regard d’une solution innovante ou d’un délai raccourci ? Là encore, seule une intelligence humaine formée et expérimentée peut arbitrer avec finesse.
Les risques de l’IA dans la commande publique
1. Des biais appris… et reproduits
Si l’algorithme a été entraîné sur de mauvaises pratiques (modèles biaisés, clauses illégales, critères absurdes), il reproduira ces erreurs à l’infini. L’intelligence devient alors… artificiellement bête.
2. Perte d’expertise interne
À force de tout déléguer, les services marchés risquent de désapprendre. Pourquoi relire un RC si la machine le valide ? Pourquoi connaître le CCAG si l’outil génère les clauses ? Sauf qu’en contentieux, ce n’est pas l’IA qui comparaît devant le juge.
3. Délégation sans maîtrise = danger
Utiliser un outil sans comprendre ses règles de fonctionnement, ses limites, ses zones d’ombre, c’est comme signer un marché sans avoir lu les annexes. L’externalisation mal maîtrisée de la fonction analyse est une vraie bombe à retardement juridique.
Alors, acheteurs publics, que faire avec l’IA ?
Ne fuyez pas la technologie. Domptez-la. L’IA ne remplace pas l’acheteur, elle l’assiste. Elle ne décide pas, elle prépare. Elle ne juge pas, elle éclaire.
Nos recommandations :
- Gardez la main sur les analyses critiques.
- Utilisez l’IA pour les tâches répétitives, pas pour arbitrer.
- Formez-vous à l’IA pour mieux l’encadrer.
- Et surtout, gardez votre bon sens juridique en éveil.
L’acheteur augmenté, ce n’est pas un acheteur déresponsabilisé. C’est un professionnel qui conjugue technologie et compétence, rigueur et adaptation. Parce que la machine, aussi puissante soit-elle, n’aura jamais votre finesse de lecture… ni votre ironie dans les notes internes.
➡️Pour aller plus loin !
Porteurs de projets IA, la commande publique vous tend les bras ! (Le monde du droit)
Sébastien Pinot, Thomas Nogris et Martin Charron, avocats chez Bignon Lebray, explorent les opportunités offertes par l’intelligence artificielle générative (IAG) dans le secteur public. Entre innovations technologiques et contraintes juridiques, ils décryptent les leviers permettant aux entreprises de saisir cette opportunité.
