Une pratique légale… mais encore trop mal connue

Il est amusant – ou inquiétant – de constater que les interdictions de soumissionner facultatives sont prévues par la loi, encadrées par le Code, confirmées par la jurisprudence… et pourtant rarement appliquées par les acheteurs.

Soit on les ignore. Soit on les redoute. Soit on croit qu’il faut une condamnation pénale pour les activer (spoiler : non).

Alors remettons un peu d’ordre dans tout ça. Voici un tour d’horizon des 4 cas d’exclusion facultative prévus à l’article L.2141-7 du Code de la commande publique, avec un zeste d’ironie – et beaucoup de pédagogie.


Entente ou conflit d’intérêt manifeste

« Le candidat a tenté d’influencer le processus ou est en situation de conflit d’intérêt. »

C’est le classique des classiques. Deux entreprises qui se répartissent les lots avant même la parution de l’AAPC. Une entreprise qui bidouille les critères avec l’acheteur lors d’un café trop long. Un élu qui “suggère” une société locale au service achats.

🔍 À savoir : dès que vous soupçonnez collusion, favoritisme ou entente, vous pouvez activer une procédure d’exclusion, à condition de respecter le contradictoire et de justifier clairement l’atteinte à l’égalité de traitement.


Mauvaise exécution d’un marché antérieur

« Le candidat a gravement manqué à ses obligations contractuelles dans un précédent marché. »

Retards chroniques. Prestations bâclées. Réserves non levées. Titulaire fantôme.

⚠️ Ce n’est pas parce qu’un marché s’est mal passé qu’il faut obligatoirement exclure. Encore faut-il prouver la gravité de la défaillance, et démontrer l’impact sur la nouvelle consultation.

💡 Astuce pro : utilisez les rapports de fin de mission, procès-verbaux de réception, ou mises en demeure restées sans effet. Pas de ressentis, que du factuel.


Tentative d’influence ou obtention d’avantage indu

« Le candidat a tenté d’influencer indûment la décision de l’acheteur. »

C’est le cas traité dans l’arrêt Conseil d’État, 16 février 2024, que nous verrons juste après.

Ce motif couvre les comportements un peu trop “conviviaux” :

  • cadeaux ou avantages avant publication ;
  • tentatives de contact direct avec le pouvoir adjudicateur ;
  • appels répétés à la cellule marchés pour “comprendre le besoin”.

👀 Oui, c’est délicat. Mais oui, c’est un motif légal d’exclusion.


Participation à la préparation du marché

« Le candidat a participé à l’élaboration du marché, de manière à fausser la concurrence. »

Le fameux cas de l’AMO devenue candidate. Ou du prestataire de diagnostics techniques qui répond ensuite au marché d’exploitation. Ou encore du bureau d’études qui a rédigé le CCTP… et qui propose maintenant la solution miracle.

⚖️ Ici, ce n’est pas une sanction morale, mais une exclusion pour préserver l’égalité d’accès au marché.

💬 Et oui, il y a un “self-cleaning” possible, si le candidat prouve qu’il ne tire aucun avantage indû de sa participation préalable.


Pourquoi ces exclusions sont peu utilisées ?

Parce qu’elles sont facultatives, encadrées, complexes à motiver.
Parce qu’elles demandent du courage juridique.
Et surtout, parce qu’on ne veut pas risquer un recours de l’entreprise exclue… même si elle a clairement dérapé.

👉 Pourtant, ces outils existent pour garantir une commande publique équitable et professionnelle. Il suffit de les manier avec méthode.


Une précision bienvenue sur une exclusion (trop) peu utilisée

Ah, l’interdiction de soumissionner pour tentative d’influence… Une disposition facultative du Code de la commande publique souvent oubliée, rarement utilisée, et parfois mal comprise. Heureusement, le Conseil d’État est venu, le 16 février 2024 (n°488524 – Société Rénovation Peinture), remettre de l’ordre dans la temporalité de cette exclusion délicate à manier.

Que dit l’arrêt Rénovation Peinture ?

Dans cette affaire, un candidat avait été condamné pénalement (mais pas définitivement) pour tentative d’influence dans le cadre d’une procédure de passation. L’acheteur avait décidé de l’exclure, ce que le candidat contestait, notamment au motif que sa condamnation n’était pas encore définitive.

Le Conseil d’État, saisi de la question, a :

  • confirmé la possibilité d’exclure un candidat sur le fondement de l’article L.2141-7 du Code de la commande publique (exclusion facultative pour tentative d’influence) ;
  • précisé que le délai de 3 ans prévu par le droit européen court à compter de la condamnation, même si elle n’est pas encore définitive ;
  • rappelé que le candidat exclu peut présenter des éléments de “self-cleaning” pour démontrer que sa fiabilité n’est plus en cause.

Tentative d’influence : de quoi parle-t-on ?

Le Code de la commande publique (article L.2141-7, 3°) permet à l’acheteur d’exclure de la procédure un candidat :

« Qui a entrepris d’influencer indûment le processus décisionnel de l’acheteur, ou d’obtenir des informations confidentielles pouvant lui donner un avantage indu. »

Concrètement, cela peut viser :

  • un candidat qui harcèle un élu pour faire pression ;
  • une tentative de contact illégal avec un membre du jury ;
  • une tentative d’obtenir en avance des informations confidentielles sur l’analyse.

Mais cette exclusion reste facultative, et soumise à un dialogue contradictoire. Elle ne s’improvise pas.

Self-cleaning : une issue (rarement exploitée) pour le candidat

Le Conseil d’État rappelle qu’un candidat visé par une mesure d’exclusion peut prouver sa fiabilité, notamment en démontrant :

  • qu’il a reconnu les faits et pris des mesures correctives ;
  • qu’il a remplacé les personnes impliquées ;
  • qu’il a mis en place une politique de conformité (compliance) ;
  • que sa participation ne porterait pas atteinte à l’égalité entre les candidats.

Mais attention : la charge de la preuve incombe au candidat. Et l’acheteur n’est pas tenu d’accepter des arguments vagues ou une lettre d’intention creuse.

Une exclusion valable 3 ans… même sans décision définitive

Et c’est là l’apport principal de l’arrêt : le Conseil d’État s’aligne sur le droit européen (directive 2014/24/UE) pour affirmer que le point de départ du délai d’exclusion de 3 ans commence dès la condamnation pénale, même non définitive.

Pourquoi c’est important ?

  • Parce qu’un candidat condamné peut vouloir faire appel… et retarder ainsi indéfiniment l’exclusion.
  • Et parce que certains acheteurs hésitaient à exclure sans décision définitive, de peur de se heurter à un recours.

Désormais, c’est clair : le délai court dès le jugement.


Ce que doivent retenir les acheteurs publics

✅ Oui, vous pouvez exclure un candidat pour tentative d’influence.
✅ Vous devez le faire dans le respect du contradictoire (lui permettre de s’expliquer).
✅ Vous n’avez pas à attendre une condamnation définitive.
✅ Vous pouvez évaluer ses mesures correctives de façon souveraine.
✅ Vous pouvez l’exclure pendant 3 ans à compter de la condamnation initiale.

Mais surtout : ne faites pas l’impasse sur la motivation de votre décision. Un simple « il a été condamné » ne suffira pas. Il faut démontrer en quoi sa participation serait de nature à fausser la procédure.


➡️Pour aller plus loin !

CE, 16 février 2024, n°488524 – Rénovation Peinture : l’exclusion pour tentative d’influence précisée

📄 👉 Lire l’arrêt complet sur Légifrance

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