

Un nouvel outil pour les acheteurs publics… ou un énième pavé dans la mare ?
Mars 2024 : la Direction des Affaires Juridiques (DAJ) du ministère de l’Économie publie un document de 46 pages intitulé Clausier général pour des achats durables.
Objectif affiché ? Aider les acheteurs publics à intégrer des clauses environnementales et sociales dans leurs marchés.
Ambition louable. Document bien présenté. Clauses apparemment clés en main.
Mais sur le terrain, entre une procédure MAPA express, un manque de formation, et une surcharge administrative chronique, ce clausier fait l’effet… d’une pastèque bio : vert à l’extérieur, rouge de complexité à l’intérieur.
L’intention est bonne. Mais la marche est haute
Le clausier propose tout un arsenal : définitions, recommandations, formulations de clauses à copier-coller.
Il couvre tout : de la sélection des candidats à l’exécution du marché. Des exemples pour les fournitures, les services, les travaux. Du développement durable partout.
Sauf que… 80 % des acheteurs publics n’ont ni expert RSE, ni juriste dédié au droit de l’environnement, ni ingénieur pour analyser un « coût du cycle de vie » ou rédiger une clause environnementale complexe.
Le texte suppose un niveau d’organisation… que très peu de collectivités ou établissements publics atteignent aujourd’hui.
Et encore faut-il avoir une stratégie d’achat, un plan d’action achat durable et une politique budgétaire qui s’aligne.
Des clauses à adapter… ou à abandonner ?
Certaines propositions font sourire.
- « Exiger un bilan carbone produit par le titulaire. »
- « Vérifier la traçabilité sociale de la filière. »
- « Appliquer des clauses d’insertion avec suivi trimestriel. »
Excellent sur le papier. Et pendant ce temps-là, l’acheteur court après les cahiers des charges, renseigne des avis de marché de plus en plus complexes, multiplie les démarches administratives et tente de suivre une formation sur les techniques d’achat … reportée à l’année prochaine faute de budget.
Il y a un gouffre entre ce que l’on souhaite intégrer pour verdir la commande publique, et ce que les équipes, en pratique, peuvent réellement porter sans exploser les délais et les risques de contentieux.
Une ambition technocratique, sans fondement juridique contraignant
Le ton du clausier est prescriptif. Très prescriptif.
Mais juridiquement ? Rien n’est obligatoire.
Ce document n’a pas de valeur réglementaire. Il n’est ni arrêté, ni circulaire. Juste une recommandation.
Cela n’enlève rien à sa valeur d’orientation. Mais cela veut dire une chose simple : vous n’avez pas à tout appliquer. Et surtout pas aveuglément.
Et c’est bien là le risque : qu’une collectivité, désireuse de bien faire, applique des clauses trop ambitieuses, mal maîtrisées, et s’expose à des recours ou à l’échec du marché.
Ce que le clausier apporte (vraiment)
Soyons justes : ce clausier a aussi des qualités. Il a le mérite de poser des bases.
- Il fournit un vocabulaire commun.
- Il aligne des exemples de clauses concrètes.
- Il structure une approche progressive selon les étapes du marché.
Et surtout, il rappelle que l’acheteur public est un acteur du changement. Un levier stratégique. Et plus seulement un passeur de bons de commande.
Mais pour que l’effet soit positif, encore faut-il que ce clausier soit utilisé avec discernement.
Alors, que faire de ce clausier quand on est acheteur public ?
1. Le lire… comme une boîte à idées
Utilisez-le comme base d’inspiration, pas comme un code de conduite. Certaines clauses peuvent être pertinentes pour vos marchés stratégiques (restauration, bâtiments, transport…).
Mais inutile de l’imprimer en urgence pour l’intégrer à vos marchés d’entretien d’espaces verts en lot unique passé en urgence.
2. Ne pas copier sans adapter
Les clauses proposées doivent être contextualisées : en fonction du montant, de l’objet, des contraintes du territoire.
Une clause environnementale mal appliquée peut devenir… un motif de contentieux.
3. Se former… ou mutualiser
Si vous êtes isolé, rapprochez-vous de votre région, d’un groupement d’achat, ou d’une centrale. Certains ont déjà intégré ces considérations dans des modèles plus simples, testés, sécurisés.
Et si vous êtes plusieurs à ne rien y comprendre ? Bravo, vous avez déjà formé un groupe de travail.
4. Privilégier le ciblage, pas la généralisation
Tous les marchés ne sont pas égaux en impact environnemental. Le clausier propose une approche globale. Mais dans la pratique, il faut prioriser les segments à fort levier : énergie, transport, bâtiment, numérique.
Commencez là où l’effet sera tangible. Pas là où la clause est la plus facile à coller.
Ce que révèle vraiment ce clausier
Ce document ne parle pas seulement d’achats durables. Il parle de la commande publique qu’on veut construire pour demain.
Une commande publique responsable. Exemplaire. Exigeante. Mais aussi… réaliste.
Or aujourd’hui, ce fossé entre les injonctions centrales et la réalité locale mine la crédibilité des politiques d’achat.
Il est temps de cesser de faire peser sur l’acheteur isolé la responsabilité de « verdir la France »… avec une clause PowerPoint et un tableau Excel.
Et il est urgent de transformer l’outil technique en outil politique, soutenu, accompagné, reconnu.
➡️Pour aller plus loin !
📄 Le clausier complet est disponible sur le site de la DAJ :
👉 Clausier général pour des achats durables – DAJ
